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HARO SUR L’ANGLO-AMÉRICAIN ? (1)

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Message  Quichotte Jeu 2 Avr - 12:24

HARO SUR L’ANGLO-AMÉRICAIN ? (1)

par Robert Massart

Première partie de l’article qui paraît au mois d'avril dans « Français 2000 », la revue de l'Association des professeurs de français de la CFWB.

Le 5 janvier dernier, la rubrique Forum du journal Le Soir publiait le courrier d’un lecteur lassé de voir dans les médias toujours plus de mots anglo-américains. Ce lecteur se demandait ce que l’on avait à y gagner et s’il fallait perpétuellement encourager la loi du plus fort.

Partageant son avis, je m’étonne surtout qu’il y ait si peu de protestations de ce genre. Personnellement, chaque fois que c’est possible, j’évite l’emploi d’anglicismes abusifs ou inutiles, comme « dead line » pour « date butoir » ou « cash » au lieu de liquide ou espèces, pour ne citer que deux exemples, alors qu’il ne me viendrait pas l’idée saugrenue d’essayer de traduire « football » par « balle au pied ». Je tâche aussi chaque fois de mettre l’accent sur le ridicule et la vanité qu’il y a à utiliser une langue étrangère pour parler la sienne. Molière ne faisait rien d’autre quand il se moquait de ces médecins incapables jargonnant en grec et en latin. De nos jours, pas mal de gens prétendent aussi nous en imposer en truffant leurs propos de « prime time », de « one shot », de « self scanning », « low cost » et autres « pitch », « staff », « top ». Il s’agit souvent de choses banales à pleurer que ces « pros » auto-proclamés s’emploient à valoriser en les nimbant d’un peu de mystère, celui de l’incompréhension.

Le lecteur du Soir, un honnête homme, ne criait pas « haro » sur l’anglo-américain comme les responsables de la rubrique ont cru bon d’intituler son courrier, écornant ainsi un peu sa pensée. Je crois qu’il se contentait de remettre les pendules à l’heure, tout bonnement.

Il est indiscutable, en effet, que les anglicismes et le franglais ne cessent de proliférer et de progresser d’année en année et, ce qui est plus grave, sans que l’on n’assiste plus à aucun semblant de réaction.

Naguère, peut-être dans la foulée du livre-pamphlet de René Etiemble, « Parlez-vous franglais ?» (1), des journalistes, des hommes politiques, des chanteurs (L. Ferré, Aznavour, H. Salvador, Renaud), des chansonniers parisiens, des professeurs, dénonçaient régulièrement ce phénomène et le tournaient en ridicule. On dirait qu’à présent tout le monde à baissé les bras et s’est résigné au raz-de-marée lexical venu d’Outre-Atlantique, comme si l’on pensait : les Etats-Unis sont les plus forts et l’anglo-américain, la langue internationale, allez vous opposer à cela ! Il est vrai que celui qui fait mine de résister un tant soit peu se fait assez mal voir ; au mieux, on lui rira au nez, au pire, il sera accusé d’anti-américanisme primaire. Essayez de parler de fin de semaine ou de remue-méninges, on vous traitera de puriste, de ringard, et si on ne vous range pas carrément dans le camp des suspects, c’est

que vous avez de la chance. Aujourd’hui, les hommes politiques français eux-mêmes ne se gênent plus pour émailler leurs propos d’emprunts à l’anglo-américain, et que dire alors de leurs homologues belges ? Et les journalistes ? Ce sont eux, le plus souvent, qui propagent les anglicismes des agences de presse et des milieux financiers ou scientifiques, et qui leur ouvrent la voie royale vers le grand public.

Quant aux professeurs, enfin ... À leur propos, je me contenterai de citer le cas le plus stupéfiant que je connaisse, celui de quelques jeunes collègues qui s’enorgueillissent de ne plus lire que des romans américains. A la longue, ceux-ci leur seront beaucoup plus familiers que la littérature française de France ou de Belgique qui ne semble plus faire partie de leurs centres d’intérêt. Autant dire aussi qu’ils ignorent tout de l’abondante production des écrivains de la francophonie. J’ai essayé de leur prêter l’un ou l’autre ouvrage de Tahar Ben Jelloun, de Maryse Condé ou d'Alain Mabanckou, ils me l’ont rendu avec un soupir condescendant et un bâillement poliment réprimé. Chacun fait ce qu’il veut pendant ses loisirs, ça ne me regarde pas, mais j’ai peur que ces jeunes professeurs de français ne soient même plus capables de parler à leurs élèves d’autre chose que de ces romans et de ces écrivains nord-américains. Il est probable que leurs leçons se passent encore en français (ils utilisent certainement des versions traduites), et, certes, on ne pourra pas les accuser de ne pas faire du tout d’analyse de texte ni de littérature. En outre, il est vrai que

nos programmes recommandent l’étude de quelques grandes oeuvres étrangères qui font partie du patrimoine mondial, comme « Don Quichotte », « Crime et Châtiment » ou « Les Raisins de la colère », ce qui est excellent, mais tout cela ne devrait pas permettre que des professeurs qui ont été formés pour enseigner notre culture et ses valeurs transforment le cours de langue maternelle en antichambre de l’american way of life .

Paradoxalement, c’est aussi en Amérique du Nord que l’on trouve les derniers irréductibles, le dernier village gaulois qui ose encore résister au tsunami des anglicismes. Hélas, malgré toute la sympathie dont les Québécois ont bénéficié durant les années 60 et 70, le vent a tourné, on commence à les trouver parfois arrogants et désagréables…voire « surannés », comme l’a décrété récemment un professeur de français langue étrangère.

Ainsi, le désir de parler un français qui soit encore du français, de la part cette petite communauté qui survit au milieu d’un océan anglophone, serait donc perçu maintenant comme une attitude qui dérange et un combat d’arrière-garde ? Pourquoi ? Serait-ce parce que les Québécois s’obstinent à refuser la chance de devenir des Nord-Américains à part entière ? Il ne leur manque effectivement plus que la langue anglaise. Au lieu de passer notre temps à les critiquer, ne serait-il pas plus juste que nous soyons pleins d’admiration pour ceux qui préfèrent magasiner pendant les fins de semaine au lieu de faire, comme nous, leur « shopping le week-end » ? Ceux qui ont inventé, en informatique, le courriel, les pourriels (spams), le clavardage (chat), le fureteur (browser) et qui, à propos de la campagne publicitaire d’un nouvel ordinateur portable, n’ont pas accepté le texte européen vantant

« sa coque unibody », et ont exigé la version « son boîtier monocorps ». Faut-il voir là les signes d’un repli identitaire frileux et étriqué ? Du chauvinisme ? Du racisme ? Je ne le pense pas, et, si ce l’était, que devrait-on dire des efforts que déployèrent au seizième siècle le roi François I, Joachim du Bellay, Guillaume Budé, Robert Estienne, et j’en oublie beaucoup d’autres, pour assurer l’émancipation de notre langue par rapport au latin ?

Les modes devraient être faites pour qu’on ne les suive pas. Bien sûr, céder à celle du franglais peut faire sourire, à l’occasion, quand il s’agit de pimenter une conversation familière d’un zeste d’exotisme, ou si l’on s’en tient aux limites d’un langage strictement technique et hyper spécialisé. Le médecin qui parlerait tout le temps, dans la vie courante, d’épistaxis pour un banal saignement de nez, fatiguerait vite son entourage, exactement comme mon agent de voyages le fait avec son jargon professionnel où il n’est question que de « booker » un vol, de séjours « all inclusive », d’ « overbooking » ou de « city trips ». J’ai d’ailleurs fini par lui demander s’il était incapable de se mettre à la place de ses clients qui ne sont pas forcément familiarisés avec ce genre de vocabulaire, et s’il était au-dessus de ses forces de dire réserver un vol, forfait tout compris, surréservation et courts séjours en ville ?

Ce qu’il m’a répondu ne m’a surpris qu’à moitié. Il m’a dit tout d’abord que cette façon de parler lui était devenue tellement familière qu’il le faisait sans y penser, automatiquement. Ensuite, il a avoué qu’il ne connaissait pas les équivalents français de la plupart des termes et expressions du métier de voyagiste, comme les mini-séjours en ville, pour les «city-trips ». C’est ennuyeux, car, quand la langue de travail n’est plus la même que celle de la vie courante, cela s’appelle de la diglossie, un phénomène socio-économique qui frappe surtout les immigrés ou les peuples anciennement colonisés. (A SUIVRE)

Robert Massart


NOTES ET ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE

(1) René Etiemble, Parlez-vous franglais ?, Gallimard, 1964. Coll. « Idées », n° 40.
(2) ibidem, édition 1973, page 65.
(3) site sur la toile : http://www.culture.gouv.fr/ cuture/ dglf
(4) Il existe aussi des pseudo-anglicismes belges, créés en Belgique et qui n’existent que chez nous. Fancy fair et taximan sont parmi les plus caractéristiques.

Joseph Boly, Chasse aux anglicismes, Louis Musin, 1974.
M. Lenoble-Pinson, Anglicismes et substituts français, Duculot, 1991.
M. Lenoble-Pinson, LÕanglicisation de Bruxelles.Le franglais, dans
Images de la ville, Bruxelles, U.L.B., 1986, pp. 156-159.
H. Walter, Le français dans tous les sens, Paris, Robert Laffont, 1988.
Français 2000, la revue de l’abpf. N° 147-148, septembre 1995, Le Lexique, voyage à travers les mots.
Le français en Belgique. Une langue, une communauté, sous la direction de D. Blampain, A. Goosse, J.-M. Klinkenberg, M. Wilmet, Duculot, 1997.

NB : ce texte applique les simplifications orthographiques de 1990.
Quichotte
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